Entretien avec Steve Bramson by AdminSpace ENTRETIEN AVEC Steve Bramson Voici l’entretien réalisé par Jeremie Noyer avec Steve Bramson au sujet de sa composition « De La Terre a La Lune ». Comment êtes-vous arrivé sur le projet original de Space Mountain : De La Terre A La Lune ? A l’époque, il y a de cela une dizaine d’années, Disney recherchait un compositeur pour cette attraction et avait contacté un certain nombre de musiciens par lesquels je figurais. J’ai donc auditionné en présentant deux thèmes. Ils ont aimé l’un d’eux et la façon dont je l’avais traité, ce qui fait que j’ai été pris sur cette démo. C’était assez original car il s’agissait d’une audition rémunérée, ce que je n’avais jamais rencontré auparavant. Sur quel matériel avez-vous réalisé cette démo ? C’était une version au synthétiseur de ce que j’avais à l’esprit, et tout est parti de là. Que vous avait demandé WDI ? Sur quoi vous êtes-vous basé pour imaginer cette musique ? Ils avaient un film du ride en images de synthèse. Ce n’était pas grand-chose, simplement votre point de vue comme si vous étiez dans l’un des véhicules de l’attraction. Il s’agissait d’avoir une idée des mouvements, des montées, des descentes, une vague sensation du déroulement. Ils m’ont également dit que cette version française de Space Mountain serait plus ou moins basée sur le roman de Jules Verne, De La Terre A La Lune, avec un canon, une catapulte, un intérieur sombre et des décors immenses évoquant l’espace. Enfin, ils m’ont parlé de l’ambiance musicale qu’ils souhaitaient, évoquant l’immensité de l’espace, l’émerveillement, l’excitation et le sens de l’aventure qui en découlent. La sensation de vitesse était aussi très importante (c’était l’un des roller coasters les plus rapides jamais créés, qui plus est en intérieur), mais dans une approche à la fois lyrique et mélodique, une certaine légèreté et de l’esprit. Chaque passager devait ressentir cet enthousiasme, ce plaisir et cet ennivrement. La musique devait être épique. Ce fut certainement une grande première pour vous ! Ce fut en effet ma toute première attraction, ce qui était très impressionnant. Il y avait beaucoup de défis à relever, notamment dans les rapports entre la technologie et la musique dans la mesure où il fallait que cette dernière accompagne au plus près l’expérience du voyageur. D’autant plus que les trains ne voyagent jamais à la même vitesse compte tenu, notamment, du nombre de passagers. Comment avez-vous résolu ce problème ? Nous avons découpé la musique du parcours en quatre segments. Des capteurs étaient répartis tout au long du parcours et dès qu’un train passait un capteur, cela envoyait un signal afin de passer au segment suivant de la musique. C’est ainsi que chaque voyage était parfaitement synchronisé. Sinon, on aurait tout le temps eu des décalages. Chaque segment durait une trentaine ou une quarantaine de secondes à la fin desquelles se trouvait la répétition d’un très court motif ou une suspension pour un très court laps de temps. C’était quelque chose de vraiment nouveau à l’époque. Il n’y avait bien que l’attraction Indiana Jones Adventure, aux Etats-Unis, qui faisait appel à des procédés similaires. Je ne sais pas si Space Mountain fut la première attraction de ce type, mais ce fut en tout cas le tout premier roller coaster de l’histoire à fonctionner avec une musique synchronisée. Je me souviens être allé deux fois à Disneyland Paris avant l’ouverture de l’attraction afin de chronométrer chaque segment du parcours. C’était vraiment le seul moyen d’avoir une idée précise de son timing. La première fois, c’était en janvier 1995. J’ai dû faire plus d’une vingtaine de tours d’affilée ! Là, j’ai pu discuter avec les imagineers des changements qui devaient avoir lieu pour chacun d’entre eux. Richard Bellis nous a parlé de difficultés similaires sur Indiana Jones Adventure : il était malade à force de faire l’attraction encore et encore avec son chronomètre ! Je connais bien Richard, et j’ai moi aussi trouvé cette partie du travail assez difficile car je n’ai jamais été un grand fan des roller coasters. C’est un aspect qui m’avait déjà inquiété au moment de signer pour ce projet ! Je me souviens avoir demandé à des amis comment aborder cette épreuve au mieux avant de la subir ! Les deux premières fois n’ont posé aucun problème. Pour les autres… Mais l’un dans l’autre, ce fut très intéressant. En tout cas, à la fin de la journée, tout était prêt et j’étais blindé ! Puis je suis revenu quelques mois plus tard après avoir composé la musique, avec une maquette au synthétiseur pour d’ultimes réglages (notamment en raison de la diminution de la vitesse des fusées imposée au dernier moment par les autorités pour raisons de sécurité), avant d’enregistrer définitivement avec l’orchestre. Pouvez-vous nous parler de votre approche de ce parcours mythique ? J’ai voulu que ma musique épouse au maximum toutes les sensations physiques que l’on éprouve au cours de ce voyage. Cela commence avec ce suspens à l’embarquement, qui précède une chute brutale et inattendue avec l’entrée dans le canon. Puis il y a cette attente fébrile, à la fois excitante et tendue, du décollage, à l’intérieur du fût, qui participe de nos interrogations : qu’allons-nous trouver là-haut ? Vient ensuite ce lancer vertigineux, immédiatement suivi par le noir complet. A ce moment, j’ai voulu une musique dépourvue de toute sensation de poids, qui corresponde à cette chute dans l’inconnu. Tout de suite après, la musique devient plus exaltante, plus amusante : c’est le voyage lui-même, pour lequel je me suis également attaché à suivre musicalement tous les tournants et les changements de direction. C’est alors qu’on arrive à mi-parcours, en vue de la Lune… En effet, et on a un peu le même phénomène qu’au départ, en haut du canon. Je me souviens que, pour cette section, les imagénieurs m’avaient dit que, tant que l’on monte vers la Lune, celle-ci semble souriante, calme et paisible. Mais quand on atteint le somment, elle se transforme pour prendre un visage quasi démoniaque. C’est la raison pour laquelle j’ai dû brusquement transformer ma musique et passer de l’exaltation à la frayeur. A partir de ce moment, c’est comme si l’on ne contrôlait plus rien, le voyage devient complètement fou. C’est le bouquet final, avec le retour du thème principal, qui se conclut par l’atterrissage, sous forme de marche, comme on me l’avait demandé. Rien qu’en écoutant la musique, on peut pratiquement ressentir tous les détails du parcours. Ce n’est que plusieurs années après que j’ai eu l’occasion de revenir à Paris et de réembarquer à bord de Space Mountain : De La Terre A La Lune, mais cette fois dans sa version finale, que je n’avais jamais eu l’occasion d’expérimenter auparavant. Ce fut vraiment formidable. Il faut dire que lorsque j’y suis monté la première fois, toutes les lumières étaient éclairées. Difficile de ressentir la même excitation et cette apréhension de l’inconnu que l’on peut avoir dans le noir. Cela m’a fait quelque chose d’entendre ma musique dans sa version acoustique et de voir le plaisir que les gens y prenaient ! Comment avez-vous travaillé avec l’imagénieur en charge du projet, Tim Delaney? Nous nous sommes rencontrés très tôt et il m’a présenté l’esprit de cette attraction. Il avait des idées très précises et s’est beaucoup impliqué dans la conception musicale. Par exemple, quand je suis venu à Paris, il a tout le temps fait l’attraction avec moi pour me faire partager sa vision en chaque point du parcours, et me montrer où se trouvaient les différentes démarquations, les différentes sections de ce voyage. C’est quelqu’un de de très créatif, qui a su partager différents aspects de l’attraction avec moi. C’est ce qui fait que cette expérience a été parmi les plus intéressantes de ma carrière : elle était très différente de ce que j’ai l’habitude de faire, à savoir de la composition traditionnelle de musique de film. WDI m’a par ailleurs fourni une compilation de musiques de films pour me montrer ce qu’ils recherchaient ou ce qu’ils souhaitaient éviter. A mesure que je progressais, je leur montrais mon travail. A ce stade du processus, ils n’avaient pas envisagé le fait de faire appel à un orchestre live. Mais j’ai réussi à les convaincre qu’en raison de l’atmosphère qu’ils voulaient créer, du type d’attraction et du genre d’expérience qu’ils voulaient susciter, ils devraient le faire. Nous avons donc abouti à l’utilisation d’un orchestre de 50-60 musiciens que nous avons enregistré ici à Los Angeles. Cela a certes dû vous changer de la musique de film stricto sensu, mais n’y a-t-il pas dans cette fusion entre le mouvement et la musique quelque chose du monde de l’animation, que vous connaissez bien également, dans la mesure où vous avez composé notamment une partie de la musique des TINY TOONS? Je dirai que je n’ai pas abordé la musique de Space Mountain : De La Terre A La Lune strictement comme une musique d’animation, mais il y a bien quelque chose dans ce sens du timing et du mouvement. J’ajouterais que la réputation de Disney s’est fondée sur l’animation. Cela se ressent dans toutes leurs productions, et notamment sur les parcs, qui sont en fait inpirés des héros et des techniques de l’animation. De ce fait, il y a bien une approche toute disneyenne dans cette musique, comme cela pourrait être le cas dans un film Disney. Il y a ce même esprit à la fois très coloré et scintillant, une juvénilité qui, que ce soit dans l’amusement ou dans la frayeur, vous fait retomber en enfance. La musique a été enregistrée une dizaine de jours à peine avant l’ouverture de l’attraction. Comment cela s’est-il passé? Il y a eu quelques problèmes techniques qui ont ralenti le processus et il y a eu des retards, en particulier pour les raisons de sécurité que j’évoquais tout à l’heure. Mais il y a également le fait que Disney ne voulait pas investir de l’argent trop tôt dans l’enregistrement avec de vrais musiciens sachant qu’il pourrait y avoir encore des changements de timing au dernier moment. Ils ont vraiment attendu la dernière minute avant de donner leur feu vert. A l’opposé de la musique ride proprement dit, on trouve une pièce beaucoup plus calme, The Grandeur Of Space. Il s’agit de la musique de la file d’attente de l’attraction. Parfois, il s’agit complètement d’une musique originale, mais dans mon cas, il n’y avait de financement que pour une pièce plus courte. J’ai donc écrit environ 12 minutes, basées sur le thème principal, et ils ont comblé avec des musiques de James Horner extraites de ROCKETEER et de KRULL. J’ai conçu cette pièce un peu sur le modèle d’une suite en trois parties qui prendrait ses distances de l’excitation de l’attraction proprement dite pour explorer les autres émotions que l’on peut ressentir lorsqu’on est confronté aux mystères de l’espace. Parmi ces sentiments, il y a bien sûr ce calme, cette paix et cette pureté, puis viennent toutes ces interrogations qui se posent à nous face à l’inconnu, pour finir avec une approche plus humouristique. Je ne sais plus vraiment comment m’est venue cette dernière partie, mais je me souviens avoir recherché un nouveau contraste, avec une impression d’apesanteur. Pour des raisons pratiques, la personne qui a réalisé mon site web a pris quelques libertés et a donné des titres à certains extraits que je voulais y voir figurer. Pour celui-ci, c’était Funny Aliens! Ce titre n’a donc pas vraiment de lien avec l’attraction si ce n’est pas le fait qu’il participe de la dimension comique de ce segment. Dans cette suite symphonique, comment avez-vous traité le thème mytique de Space Mountain : De La Terre A La Lune? Certaines parties sont de purs arrangements, mais d’autres jouent plus sur l’idée de motif avec des traitements tantôt harmoniques tantôt par augmentation ou par diminution. C’est une manière, quand vous faites la queue, de s’imprégner de ce thème de façon quasi subliminale avant le départ lui-même. Au niveau harmonique, on songe très souvent à Claude Debussy. Il est vrai que j’y ai glissé quelques touches impressionnistes ici et là , mais ce ne fut pas une démarche intellectuelle. Cela fait partie de la spontanéité de l’écriture. Quand je pense « mystère », il y a une partie de la culture collective et une partie de mon éducation qui me poussent à me tourner spontanément vers ce type d’écriture. Cela permet également de ne pas resté cantonné à une approche seulement thématique et d’explorer d’autres couleurs, d’autres paramètres musicaux. Une autre référence que l’on peut relever est assurément LES PLANETES de Gustav Holst. Il aurait été très difficile d’en faire abstraction. Sa vision musicale de l’espace est tellement ancrée dans l’imaginaire collectif. Ces deux styles exprimaient vraiment cette idée d’émerveillement et de questionnement au coeur de l’attraction, notamment cette dimension « irrésolue » de leur musique [dans le sens où on n’y retrouve pas les enchaînements tonaux de base, dominante-tonique, mais que l’harmonie est comme suspendue, sans cadence, sans réellement conclusion]. Est-ce que le fait qu’il s’agissait d’une attraction pour un parc européen, qui plus est inspirée d’une œuvre d’un auteur français, a participé de votre inspiration? Je dois dire que j’ai plutôt puisé mon inspiration de mon expérience en matière de musiques de film. Ma préoccupation principale a été de transmettre les sentiments qu’on me demandait d’exprimer, compte tenu de toutes les difficultés techniques liées à cette attraction. Mais si l’inspiration de la musique européenne ne fut pas délibérée, vous avez néanmoins remarqué que Claude Debussy s’est vite imposé, spontanément, inconsciemment… Est-ce vous qui avez orchestré votre musique? Oui. Je l’ai également dirigée. C’est ce que je fais la plupart du temps avec mes musiques. La partition du parcours a été enregistrée avec click alors que les autres pièces l’ont été plus librement. J’avais exactement en tête le tempo que je voulais leur imprimer. Il est particulièrement intéressant de noter qu’en dépit du fait qu’il ne s’agit que d’un orchestre « moyen » de 60 musiciens, on a vraiment l’impression d’entendre un ensemble presque deux fois plus important… Nous avons bénéficié d’un orchestre remarquable et d’une équipe technique fantastique –chez Paramount, je crois- qui savait exactement comment tirer le meilleur de cet ensemble. Imaginez qu’on a enregistré toutes les musiques de l’attraction en 3 heures seulement, en accordant le plus de temps à la musique du parcours lui-même. Le fait est que j’essaie toujours d’exploiter au maximum le matériel dont je dispose. Prenez JAG. C’est l’une des dernières séries à faire appel à un vrai orchestre chaque semaine. A chaque fois, je dispose de 35 musiciens, parfois 40, et mon challenge, c’est de les faire sonner de la manière la plus riche et la plus opulente possible. Quels sentiments vous inspirent la transformation qu’a subi votre Space Mountain en Mission 2 ? A l’époque, il y a donc une quinzaine d’années, Space Mountain : De La Terre A La Lune était vraiment une attraction révolutionnaire. Elle a ouvert la voie à d’autres roller coasters avec musique live et synchrone, c’est à dire avec un véritable budget dévolu à la musique, que ce soit Indiana Jones Adventure ou plus récemment The Mummy à Universal Studios. On ne peut que s’en réjouir et espérer que ce mariage entre la technique et la musique se fasse de plus en plus fluide et intéressant, un formidable mariage entre technologie et tradition. De plus, elle a marqué un tournant dans la vie du parc Disneyland Paris, puisqu’elle a permis de le remettre sur pied financièrement. Je suis vraiment fier et honoré d’avoir été choisi pour y participer et, si j’en juge par les emails que je reçois toujours, me disant que c’est leur musique préférée, je suis aussi très fier de ce que j’ai fait. Cela me fait quelque chose de savoir que j’ai participé à donner tant d’émotions à tant de gens si loin de chez moi. Cela signifie beaucoup pour moi et j’en garde un souvenir unique. Depuis, la concurrence et la surenchère n’ont cessé de croître parmi les roller coasters et on peut comprendre le désir de Disney de moderniser cette attraction. Ce fut une surprise pour moi d’apprendre qu’on ne pourra plus entendre ma musique à Paris, mais ce genre de chose arrive très souvent dans ce métier. J’ai une sensation un peu douce-amère, mais il n’y a rien de personnel là-dedans. C’était sans doute le bon moment pour un changement. D’autant plus que la musique collait tellement au parcours que la moindre transformation avait pour conséquence qu’il fallait vraiment tout refaire. Et vu que l’esprit de l’attraction va changer, on peut comprendre qu’ils aient cherché quelqu’un d’autre pour en composer la bande-son. Je ne connais pas Michael Giacchino personnellement, mais je connais son travail. Je suis sûr qu’il a fait quelque chose de formidable… Source : Entretien réalisé par Jeremie Noyer